Avant de se pencher sur le roman policier historique, un genre littéraire à part entière, revenons sur quelques grandes dates concernant le roman policier dans son ensemble.
Petite chronologie du roman policier :
En 1841, l’auteur américain Edgar Allan Poe publie les premières nouvelles policières dont La lettre volée et Double assassinat dans la rue Morgue. Cette date est reconnue comme la date officielle de la naissance de ce genre littéraire.
En 1863, le français Emile Gaboriau écrit L’affaire Lerouge qui introduit un personnage d’enquêteur, l’agent de sécurité Lecoq qui servira de modèle à bon nombre de romanciers pour créer leur détective et leur policier de papier.
En 1887, Conan Doyle, auteur anglais, crée le personnage de Sherlock Holmes, détective privé tout à fait particulier qui complexifie le genre.
En 1905, Maurice Leblanc publie une nouvelle dans le magazine Je sais tout, dans laquelle apparaît le personnage de gentleman-cambrioleur Arsène Lupin. Ce type de personnage est une variante intéressante dans la trame narrative de ce genre de récit.
En 1907, le détective Rouletabille de Gaston Leroux vient au monde dans Le mystère de la chambre jaune.
Le roman policier se diversifie dans de très nombreux genres : thriller, polar social, roman à énigmes, roman d’atmosphère, polar juridique etc…
De grands auteurs ont donné leurs lettres de noblesse à ce genre littéraire dans des styles très divers : Arthur Conan Doyle, Agatha Christie, Simenon, Raymond Chandler et, plus près de nous, Thierry Jonquet, Patrick Manchette, Jean-Claude Izzo, James Lee Burke, Michael Connelly, Henning Mankel, P.D. James etc…
Le roman policier historique :
Naissance du genre :
On s’accorde sur le fait que le premier roman policier historique a été publié en 1949. A cette date, un sinologue néerlandais, Robert Van Gülick, découvre un manuscrit anonyme datant du XVIIIème siècle intitulé 3 affaires criminelles résolues par le juge Ti. Il traduit le texte et le publie. Après ce premier texte, il rédigera de nombreux romans enrichissant la saga littéraire du juge Ti.
Un roman policier historique est un récit narrant une intrigue policière imaginaire se déroulant dans une époque antérieure à celle dans laquelle vit l’auteur.
Suivant cette définition, on peut relever qu’Honoré de Balzac avec Une ténébreuse affaire ou Agatha Christie dans La mort n’a pas de fin ont été les précurseurs du genre.
L’essor du roman policier historique :
Le développement de cette littérature date des années 1980. Il se fait en réaction au roman policier traditionnel et à l’apparition du néo-polar. Le néo-polar met en scène une réalité sombre et, à travers des récits souvent très sombres, souligne les violences et les injustices du monde contemporain. Ces grands représentants sont Patrick Manchette ou encore Thierry Jonquet. A contrario, le roman policier historique se donne pour but de faire rêver le lecteur en lui proposant des énigmes enrichies par un contexte historique original. Les intrigues y sont plus légères et s’il y a des meurtres, du sang et du suspens, elles réaffirment le goût des amateurs pour l’Histoire avec un grand H qui sert de trame au roman. On entre dans l’univers de la lecture plaisir ce qui n’empêche pas la profondeur de certaines œuvres.
En 1980, paraît Le nom de la rose de l’italien Umberto Eco. L’histoire se déroule en 1327 lorsqu’un ex-inquisiteur Guillaume de Baskerville se rend dans une abbaye bénédictine avec son jeune secrétaire Adso pour enquêter sur la mort suspecte d’un moine. Il découvre rapidement qu’il ne s’agit pas d’un suicide mais plutôt d’un meurtre et que de nombreux suspects avaient intérêt à faire disparaître la victime. Toute l’aventure a pour fond historique la querelle théologique entre les franciscains, soutenus par l’empereur Louis IV du Saint-Empire et les représentants de l’autorité papale. La description de ces enjeux politiques et moraux donnent à ce policier médiéval des allures de fable métaphysique.
Ce livre qui remporte un succès international, ouvre la voie à de nombreux ouvrages.
Les caractéristiques du roman policier historique :
a) Un enquêteur atypique :
Comme dans Le nom de la rose, l’enquêteur à l’oeuvre dans le roman policier historique est un personnage sortant de l’ordinaire qui explique ses aptitudes d’enquêteurs dans des époques où la fonction n’existait pas réellement. Il est le plus souvent un érudit qui possède des capacités de déduction hors du commun. C’est ainsi qu’on trouve un certain nombre d’hommes d’église, de nobles déclassés. Il peut également être apothicaire, avocat, libraire… toute profession qui dénote une certaine indépendance d’esprit et la possibilité d’évoluer dans différentes strates de la société.
Cet enquêteur (policier professionnel ou amateur) porte un regard distancié sur le monde qui l’entoure de façon à en délivrer une vision critique et la mettre en perspective par rapport à la société contemporaine. C’est ce qui procure de la nuance et de la complexité au roman. Il est donc primordial de bien choisir la période dans laquelle on va implanter le héros, suffisamment complexe pour faire écho à la société contemporaine.
b) Choix de l’époque :
Il s’agit de plonger le lecteur dans un univers, recréé littérairement, suffisamment différent du sien afin de le dépayser tout en lui permettant d’en adopter les codes sans difficulté pour ne pas nuire à l’avancée de l’enquête. La plongée dans une période lointaine permet de s’attarder sur des descriptions riches et parfois savoureuses. Cela permet de mettre en avant différents modes narratifs exprimant le style personnel de l’auteur. Le plaisir de décrire tous ces objets, vêtements, habitations ou autres doit être partagé.
De même, il est important de faire sentir combien l’époque décrite est distincte de la nôtre. Par exemple, la façon de se déplacer ou de communiquer ont une influence primordiale sur la vie des gens, sur leur manière d’envisager l’existence. Les croyances du moment, les connaissances techniques ou scientifiques façonnent les êtres et leur comportement. En décrivant des us et coutumes du passé, on peut s’interroger sur le fonctionnement de nos sociétés contemporaines. C’est là que le regard du personnage principal est important.
La recréation d’un monde disparu doit s’établir sur une bonne connaissance de l’époque de façon à la rendre la plus réaliste possible. Le style littéraire employé doit en être le témoin car les modes d’expression, les tournures de phrase ou les éléments de langage n’étaient pas les mêmes dans les siècles passés. C’est pourquoi le travail de recherches de l’écrivain doit être méticuleux.
c) Un travail de recherche indispensable :
Le travail de recherche doit s’effectuer dans de nombreux domaines en fonction de l’histoire que l’on cherche à raconter. Ainsi, il faut connaître le fonctionnement de la police ou de la gendarmerie qui est très différent de celui d’aujourd’hui. Il en est de même pour tous les éléments de la vie quotidienne. Les questions à se poser sont nombreuses et chaque détail est important. Comment les gens se nourrissaient-ils ? Cet aliment faisait-il partie de leur quotidien ? Comment se chauffaient-ils ? Bénéficiaient-ils de l’eau dans les maisons ?…
Pour chaque description, il faut vérifier au maximum ce qu’était la réalité du moment. Il est important de faire la chasse aux anachronismes. Il ne s’agit pas de faire un cours car l’intrigue policière doit rester prioritaire mais de créer un univers cohérent dans lequel vont évoluer les personnages en chassant le pittoresque inutile.
La chose est rendue plus délicate lorsque l’on décrit des lieux qui sont familiers au lecteur et qu’il a parfois sous les yeux au quotidien. Il faut retrouver dans les vestiges d’aujourd’hui la trace de ce qui exista et le dépeindre tel qu’il pouvait être. Là encore, il faut chasser les anachronismes tant au niveau des noms de lieux que des descriptions. Partir en chasse du moindre détail en plongeant dans les archives, ne pas hésiter à visiter les musées, lire les témoignages des contemporains pour coller au mieux à la réalité.
Le genre littéraire du roman policier historique est extrêmement codifié et il est plaisant de respecter cette trame pour le plus grand plaisir du lecteur.
d) Des codes bien appris :
Dans ce type de roman, l’énigme policière ne doit pas être sacrifiée à la restitution d’une réalité passée. Cette dernière doit servir de fond pour une histoire qui respecte certains codes qui balisent le récit.
L’utilisation de personnages récurrents que l’on retrouve de tome en tome est préconisée. Le lecteur peut ainsi plus facilement s’identifier aux héros et l’auteur peut ainsi approfondir au fil des ouvrages de la saga les personnalités et les relations entre les individus qui se développent sur plusieurs livres.
Une dose d’histoire romantique ne nuit pas dans ces ouvrages qui jouent à mêler différents registres littéraires (romantique, drôlatique, tragique peuvent cohabiter en fonction des scènes et des événements décrits).
Les descriptions précises de certains éléments, robes des femmes, décoration des intérieurs, nourriture… sont des détails qui réjouissent les passionnés.
C’est tout ce back-ground qui fonde ce genre littéraire et explique le grand succès qu’il remporte. Certaines sagas et certains auteurs sont particulièrement appréciés.
Des auteurs à retenir :
Robert Van Gulick et son juge Ti : A tout seigneur tout honneur pour le pionnier du genre. Sa vingtaine de romans allient la rigueur historique, une connaissance approfondie de la civilisation chinoise et un style littéraire recherché.
Ellis Peters et le moine Cadfaël : la romancière anglaise nous plonge dans le Pays de Galles du XIIème siècle dans les pas de ce moine atypique, herboriste et médecin qui vient en aide au jeune shérif Hugh Beringar pour résoudre des crimes. Humour à l’anglaise et précisions historiques sont au rendez-vous de ce grand classique qui se développent sur vingt romans.
Boris Akounine et sa série policière historique Eraste Pétrovitch Fandorine : Evoluant dans la Russie tsariste de la fin du XIXème siècle, le héros représente l’idéal de la noblesse de son temps. Bel homme, fort apprécié des femmes, il reste solitaire pour effectuer des missions spéciales confiées par le général gouverneur de Moscou.
Anne Perry et l’Angleterre victorienne : A travers deux séries de romans Charlotte et Thomas Pitt et William Monk, l’auteur britannique révèle les dessous de la société victorienne pleine de pudibonderie et particulièrement clivée au niveau social où se côtoient extrême pauvreté et opulence.
Claude Izner : Il s’agit du nom de plume pris par deux sœurs, Liliane et Laurence Korb qui écrivent à deux mains. Elles ont créé le personnage de Victor Legris qui enquête dans le Paris de la fin du XIXème siècle.
Jean-François Parot : Très féru d’histoire de France, l’auteur invente le personnage de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet. Les aventures de ce policier se déroule sous Louis XV et Louis XVI où se préparent les prémices de la Révolution. Ces romans sont un mélange réussi d’aventures, d’enquêtes policières et reconstitutions historiques.